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West Hollywood, Californie
Deux jours plus tard
Dark ouvrit avec les dents le sachet de lait maternisé premier âge et vida la poudre grise dans le biberon en plastique. Il jeta un coup d’œil au mode d’emploi pour vérifier la quantité d’eau à ajouter. Normalement, c’était bien indiqué, non ?
Il remplit le biberon jusqu’à la ligne. Revissa la tétine. Le secoua. Il était prêt pour la petite Sibby et ce n’était pas trop tôt : elle avait faim.
Sa fille, Sibby, aussi douce qu’une fleur. De grands yeux bleus. Pleurnichant si pitoyablement que cela lui fendait le cœur. Elle avait toujours faim.
Dark s’assit donc sur le canapé et lui donna le biberon, aveuglé par le soleil matinal. Riggins avait choisi cet appartement sans le visiter, et Dark n’y était encore venu que la nuit. C’était la première fois qu’il le voyait en plein jour. C’était drôle, quand on y pensait. Sa vie avec Sibby n’était que soleil, plage, plein jour. La nuit, ils se blottissaient l’un contre l’autre et essayaient de ne pas penser au reste du monde.
Et, maintenant, il était là avec sa fille, qui tétait goulûment.
Dark n’avait pas eu beaucoup de temps pour déballer les cartons et n’avait rien sorti à part les deux photos de Sibby. Il lui montra la photo de la robe jaune en lui expliquant que c’était sa maman et que sa maman l’aimerait toujours énormément. Dark voulait lui inculquer ces souvenirs dès son plus jeune âge pour qu’ils s’y gravent.
C’était terminé, il ne se cachait plus. Il avait décidé de goûter à la vie, pour changer.
C’est alors qu’on frappa à la porte.
Le bruit fit sursauter Sibby. Elle avait fini son biberon, de toute façon, jusqu’à la dernière goutte. Dark se leva alors que retentissait le deuxième coup, plus pressant. Il hésita un instant à ouvrir, se remémorant la phrase de Pascal : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. »
Dark savait qu’on ne le laisserait pas en paix.
Il alla déposer délicatement Sibby dans le petit berceau rose qu’il avait monté à la hâte l’avant-veille – et sortit d’un tiroir un Glock 9 mm.
— Qui est-ce ? demanda-t-il.
— Une livraison, répondit une voix de femme. Un paquet pour vous.
Dark colla son œil contre le judas. Une grande femme mince en combinaison marron, casquette enfoncée sur ses cheveux noirs, tenait un carton portant le nom d’un service de livraison de couches. Dark reconnut le nom ; une analyste de la DAS lui envoyait cela en guise de cadeau. La carte qui l’accompagnait disait : « Ce n’est pas parce que vous êtes parti que vous avez fini d’éponger la merde. »
— Un instant, dit Dark en fourrant son arme dans sa ceinture, avant d’ouvrir.
— Steve Dark ? demanda la femme.
— Oui.
— Je peux déposer cela à l’intérieur ? J’ai un document à vous faire signer.
Avant qu’il ait eu le temps de répondre, la femme prit la tablette informatique sur le dessus du carton et la lui tendit. Puis elle déposa le carton à terre, referma la porte d’un coup de pied et ôta sa casquette. Ses longs cheveux bruns tombèrent sur ses épaules. Elle sortit un mobile de la poche de sa combinaison, qu’elle ôta d’un seul mouvement, découvrant le tailleur qu’elle portait dessous. Quelques secondes avaient suffi à sa métamorphose.
Dark avait déjà eu le temps de braquer le Glock sur son crâne.
— Calmez-vous, dit-elle. Je suis Brenda Condor, des services sociaux de Washington.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de couches, alors ?
— Vous auriez ouvert si je vous avais dit que j’étais du gouvernement fédéral ?
Il hocha la tête. Elle n’avait pas tort. Si elle s’était annoncée ainsi, il aurait carrément tiré à travers la porte avant de l’ouvrir.
— Une voiture va venir vous prendre dans sept minutes, continua-t-elle. Je suis chargée de m’occuper de l’enfant pendant votre absence.
— Ah oui ? Et où suis-je censé aller ?
Condor entra dans l’appartement pour filer droit vers le bébé. Elle n’avait pas fait deux pas que Dark l’avait déjà rattrapée et la tenait en joue en lui demandant aimablement de présenter ses papiers.
— Vous n’avez plus besoin de cette arme.
— Vous n’êtes pas obligée de continuer à respirer.
Il vit ses pupilles se dilater et ses charmants yeux bleus s’écarquiller, et cela suffit à le distraire assez pour qu’elle le désarme d’un geste. Il prétendit plus tard que son absence de réaction était due au manque de sommeil. Cependant, au lieu de retourner son arme contre lui, elle sortit de son sac ses papiers et un mobile.
Au premier abord, les papiers semblaient authentiques, mais Dark ne fut rassuré qu’en entendant la voix de Riggins à l’autre bout du fil.
— Oui, c’est une vraie, soupira Riggins. Ce foutu Wyckoff m’a appelé il y a quelques heures. J’ai exactement le même problème chez moi. Je devrais savourer paisiblement ma gueule de bois, mais apparemment on nous réclame.
— O.K.
— À tout à l’heure.
Dark raccrocha et regarda sa nouvelle baby-sitter.
— Vous n’avez pas à vous inquiéter, dit-elle en lui rendant son Glock. Je m’en occuperai parfaitement. J’ai reçu l’ordre de vous l’amener où que vous soyez dans le monde, du moment que c’est en lieu sûr. Faites votre sac.
Dark alla décrocher la photo de la robe jaune.
— C’est sa mère. Montrez-lui la photo de temps en temps, chaque jour. C’est important pour moi.
Condor prit le cadre et le regarda sans répondre, puis elle appuya sur la commande du micro fixé à son chemisier.
— Steve Dark, code 4. Bébé en main. Terminé.